Carnet de fictions...


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mercredi 30 juin 2010

Histoire de Chanelle

Comme sa vie était digne d'une belle fiction, c'est en ce coin de Toile que je dépose son histoire. Chanelle a vécu entre les lignes de mon blogue durant des années. Elle n'est plus mais son souvenir restera longtemps en nous...

In Mémoriam

Elle était si belle que dans son jeune temps, tous les regards qui la croisaient s'y attardaient. Blonde en plein soleil et rousse dans le soir couchant, elle avait une toison qui bouclait sa nuque, un port de reine et une élégance innée. C'était une métisse, fruit des fornications entre un Golden et un Colley. Elle s'appelait Chanelle.

Et même si elle n'était pas humaine, elle tenait en mon coeur une bien grande place...

Son histoire rocambolesque était à la hauteur d'une fiction, presque irréelle. Elle avait pris sa vie en pattes. Elle m'avait choisie. Elle avait jeté son dévolu sur ma petite personne et m'avait retourné le coeur. Hier, je l'ai accompagné en ces derniers instants avec tout cet amour qu'elle a su faire naitre en moi. Un amour qui est aujourd'hui bien réel. Comme cette peine nouvelle.

Comme son histoire vaut la peine d'être racontée, je tiens à la partager une dernière fois. Immortaliser en ces mots son destin. Par bribes. En trouver le fil. Pour évacuer ces vagues de tristesse qui me submerge toute entière. Entre deux phrases les larmes dégoulinent sur mes joues que je ne prends pas la peine d'essayer de les essuyer. Ce sont des larmes de chagrin qui sont le reflet d'un bonheur vécu. Un bonheur qui est encore plus lumineux maintenant qu'il n'est plus.

Sweet Chanelle

J'ai rencontré Chanelle pour la première fois il y plus de dix ans. Je donnais à l'époque des cours de soutien aux élèves en difficulté scolaire tandis que j'étudiais à l'université. Ma spécialité était le français. Je recueillais ces petites âmes et j'essayais de leur communiquer ma passion de cette langue qui est la nôtre. En leur terreau d'enfance, je plantais mes graines de savoir. Je me spécialisais avec le primaire.

Lorsque je me suis installée en ce village accoté prés d'un grand lac, Jay fut mon premier élève. Il avait 7 ans. J'allais travailler avec lui trois soirs par semaine en sa maison. C'est là que je l'ai rencontrée. Sweet Chanelle. C'était le chien de maison. Encore jeune. Les premières fois, j'ai remarqué sa beauté mais je n'ai guère fait attention au chien. J'avais d'autres chats à fouetter dans ma vie. Et puis avec les semaines qui passaient, j'ai commencé à succomber à sa beauté docile, à cette étonnante douceur qui émanait de sa grosseur respectable. À son regard, rempli d'une intelligence silencieuse. Tout doucement, j'ai appris à la connaitre. Entre deux pas de portes. Entre deux courses de quotidien.

Je me liais d'amitié avec Sylvia, mère de Jay et maitresse de Chanelle. Et au bout d'une année, une drôle d'idée s'est inscrustée dans ma tête. À chaque fois que je voyais Chanelle, je me disais: "Même si je ne suis pas très chien comme fille, si je devais avoir un chien c'est Chanelle que je voudrais!". À la rentrée suivante, j'étais contente de retrouver Chanelle en même temps que Jay était moyennement content de me retrouver (même s'il m'aimait bien). Dès que j'entrais dans la maison, Chanelle m'accueillait de ses grands yeux doux et me faisait un sourire comme je n'avais jamais su qu'un chien pouvait faire. Déjà elle adoucissait l'épreuve du cours. Jay était un petit Asperger et ma tâche de français était un défi auquel je m'attelais avec coeur et courage.

Sans m'en rendre compte, j'ai commencé à verbaliser cette idée que j'avais eu les mois auparavant. Lorsque je voyais Chanelle qui me faisait la fête, je lui disais: "Ah! Chanelle, que tu es belle, tu sais, t'es le seul chien que j'aimerais avoir dans ma vie". Sans m'en rendre compte, je l'aimais déjà. Comme je n'avais jamais aimé un chien. Au cours de cette année là, j'ai déménagé avec Juan dans un chalet qui se trouvait tout près de la maison de Jay. Notre quartier boisé est formé deux rues qui font une boucle à fin du village. En coupant dans le boisé, je pouvais me rendre chez Sylvia en trois minutes. Cette année là, l'on a aussi décidé de Jay viendrait travailler chez moi. Et sans y faire vraiment attention, cette routine a fait que je ne voyais plus Chanelle trois fois par semaine. Comme j'avais d'autres chats à fouetter, je n'y pensais guère...

Et puis, un jour Chanelle a compris où j'habitais et s'est retrouvée sur mon palier. J'ai ouvert ma porte et la voilà qui me souriait de toutes ses dents.

Contente d'elle, elle me faisait la fête. Les premières fois, aussi estomaquée que flattée, je lui souriais, bavardait un peu avec elle avant de la ramener chez elle.

Piteuse, elle me regardait d'un regard triste tandis que Sylvia fermait la porte derrière elle. Jusqu'à ce qu'elle se mette à fuguer à la première occasion pour venir atterrir devant ma porte. Son petit manège en était presque drôle. Sylvia, à la blague commençait à me dire: "Et bien, je crois qu'elle veut vivre chez toi, est-ce tu veux la prendre?".

Moi, je comprenais à peine ce qui m'arrivait, j'écarquillais les yeux et restait bouche bée. Juan de son coté refusait tout net: "Ah! Non, on a déjà 6 chats on va pas en plus avoir un chien! T'as vu comment c'est petit chez nous et comment Chanelle est grande!". Mais Chanelle s'en foutait et durant six mois, elle joua au petit manège qui s'intitulait: "Aller faire un tour d'Etolane".

Arriva l'été qui génocida ma tribu de chats. Alors qu'il ne restait plus que deux âmes félines en ma maison, comme à ses habitudes Chanelle atterrit sur ma terrasse. Un jour pas comme les autres, je m'en souviens encore, j'étais triste de mes chats et je l'ai laissée entrer. Elle a reniflé tous les coins. Elle m'a souri de cet irrésistible sourire et j'ai capitulé. J'ai partagé ma peine avec elle. Elle s'est couchée à mes pieds, docile, soumise. Si belle. Elle a passé la journée avec moi et une fois le soir venu, j'ai persuadé Juan de la garder en lui disant que je la ramènerais demain.

Ce soir a annoncé son emménagement officiel même si on le savait pas encore. À partir de ce jour là, elle est revenue encore et encore. Elle ne prenait tellement pas de place malgré sa grande taille, c'était hallucinant. Et sa douceur était telle qu'elle irradiait la maison d'une nouvelle chaleur. Je succombais. Lorsque je la ramenais, elle devenait si triste. Elle ne voulait plus vivre chez Sylvia. Tant et si bien que Sylvia finit par me dire: "Écoute, garde-là et je vous amènerai ses croquettes, elle vraiment heureuse chez toi." Plus de force que de gré, c'est comme cela que l'on s'est retrouvé avec une chienne nommée Chanelle!

Chanelle-se-marre

Elle avait six ans. Cela nous a pris deux mois pour réaliser que nous avions un chien. Au début, nos amis venaient à la maison, découvraient Chanelle et nous disaient avec surprise:

- Mais vous avez un chien?!?

Et l'on bafouillait en essayant d'expliquer l'histoire loufoque.

- Heu, ben on sait pas trop, c'est Chanelle, elle est vraiment gentille et elle veut vivre chez nous. En fait c'est le chien d'une voisine mais... blablabla....

Et puis l'on expliquait ou pas et Chanelle rigolait. Chaque personne qui la rencontrait comprenait qu'il était impossible de lui résister. Sans compter qu'elle utilisait toute son intelligence pour me plaire. Ne jamais me déplaire semblait être sa tâche principale. Elle me donnait son coeur et son obéissance sur un plateau d'argent. Un si beau chien. J'étais flattée. Elle m'aimait alors que je ne lui avais rien demandé. Elle était si douce et gentille, une crème de chien...

À cette époque là, l'on vivait notre lune de miel avec Chanelle. Propre, bien élevée, intelligente et charmante. Juan avait beaucoup de fun à jouer avec elle même si elle lui faisait toujours comprendre qu'elle n'était qu'à moi. Au bout de six mois chez nous, il m'a fait remarqué qu'elle l'ignorait. En effet, autant elle m'écoutait au doigt et à l'œil sans même que j'aie l'impression de donner des ordres autant elle l'ignorait royalement et faisait parfois semblant de ne pas l'entendre quand il lui parlait. Son intelligence me fascinait.

Avec respect et étonnement, je découvrais que ce chien était aussi intelligent sinon plus que certains humains! Cela me foutait à terre. Elle refusait d'aller quelque part avec lui si je n'étais pas là. Subtilement mais fermement, sans aucune malice, elle lui disait: "Tu n'es pas mon maitre, c'est elle ma maitresse. Toi j'ai pas confiance.".

Je n'y comprenais rien, depuis quand un chien pouvait ainsi décider que je devienne sa maitresse? Depuis quand les chiens prenaient leur vie en pattes? Mais sa maitresse je devenais. Elle se fondait à ma vie de maison. Elle devenait mon ombre blonde à quatre pattes. Une ombre magnifique qui embellissait ma vie.

Au bout de six mois, alors que l'on faisait des balades de lac avec elle, l'on a réalisé que l'on avait un chien de famille. C'était, en effet, le chien parfait pour une famille. Manquait juste un enfant pour que l'image soit idyllique. Comme dans un livre. L'on plaisantait sur le sujet car l'on avait pas vraiment décidé d'être parent. L'on y pensait seulement. Six mois plus tard, boom, sans trop faire exprès ou attention, me voilà enceinte! Et aussi con que cela puisse paraitre, le fait que Chanelle était là me rassurait. Rendue là, je l'aimais profondément. Elle était devenue mienne.

Ensemble l'on avait une routine de lac. L'on allait à ces places où je n'allais avec personne d'autre. L'on squattait un quai déserté. L'on se posait et l'on méditait. Dans la même bulle contemplative, unie par la nature qui nous entourait, l'on respirait. Ensemble dans la même extase. C'était une sensation extraordinaire que de vivre ces moments d'eau avec elle. J'en ai pris des centaines de photos...

D'ailleurs, elle aimait beaucoup que je la prenne en photo. Elle prenait la pose, attirait mon regard et souriait lorsqu'elle entendait le déclic. Chanelle a partagé ma solitude interne, elle en a traversé le seuil. Et je l'ai laissé entrer car je ne pouvais désirer meilleure compagnie. Son plus grand bonheur était d'être à mes pieds, aimante et silencieuse. Elle n'aboyait jamais. C'est ce qui me plaisait tant chez elle.

Mais elle avait si peu confiance en elle. J'ai essayé de lui redonner cette confiance qu'elle avait perdu. Ces dernières années, elle avait retrouvé un "WOOF". Elle était bien dans ses pattes. Particulièrement depuis que l'on avait emménagé avec elle en cette maison de pierres à quelques centaines de mètres de notre ancien chalet. Ici elle était maitresse de la maison. Elle en avait la garde. Elle régnait avec un bonheur qui me faisait toujours sourire. Vigilante mais jamais méchante. Un véritable amour sur quatre pattes. Elle comprenait le français assez bien pour que je la soupçonne de déchiffrer au moins une centaine de mots sans problème. Elle comprenait des phrases entières. Sa personnalité était aussi belle que son irrésistible blondeur. Son charme emportait tout sur son passage...

Un bonheur de Chanelle

Avec elle, même si je n'avais pas l'humeur à sourire, je souriais. Son regard fouillait mon âme et la comblait. Lorsqu'elle a emménagée avec nous, j'ai réalisé une fois de plus l'artificialité de l'argent (dont la valeur n'est qu'humaine). Chanelle a quitté une grande maison confortable où elle était bien entretenue pour venir vivre à la bohème avec moi. En notre petit chalet. Pour dormir à la dure au pied de mon lit, accompagner mes pas de lac, et m'aimer?

Juan s'est habitué à cette nouvelle dynamique. Cela aura pris deux ans pour qu'elle accepte de l'écouter même quand l'envie n'était pas là. Chez nous, elle vivait sans laisse. Elle faisait ses besoins dans la forêt (ou chez les voisins). Jamais chez nous. Cela me faisait rire. Elle voulait tant nous plaire. Si nous n'allions pas nous promener, elle faisait ses petites balades de quartier quotidienne pour se dégourdir les pattes. Tout le monde la connaissait, ceux qui aimait les chiens lui donnait quelques caresses et elle ne représentait absolument aucun danger pour les autres. Elle était libre. Je lui faisais confiance. Si j'étais là, elle était là et le reste du temps, elle n'allait jamais bien loin. Elle était ici chez elle.

Elle connaissait le quartier comme sa poche. Elle avait même une petite gloire de village. Lorsque l'on se promenait l'on croisait souvent des gens qui ne se souvenait pas de notre nom mais reconnaissait Chanelle. Sans compter qu'elle avait fait trois fois la première page du journal municipal avec mes photos de lac. Elle possédait l'étincelle de la star. Avec elle, la vie n'était que belle. Son regard me donnait tant d'amour que parfois c'était trop, je ne savais pas quoi en faire. je détournais le regard. Pour notre mariage, elle avait fait sourire toute l'assemblée en assistant à la cérémonie en ombre blonde. Sage comme une image dans les portes ouvertes, à l'entrée de l'église de bois, assise bien droite dans la lumière du soleil. Ma si belle et douce Chanelle...

Winter Days

Et les années ont passé, l'enfant est venue et la maladie aussi. Chanelle a veillé à tous mes malaises. Sans jamais s'en plaindre. Avec toujours le même plaisir dans ses yeux lorsque nos regards se croisaient. J'ai guéri et je la voulais immortelle. Éternelle. Elle était si exceptionnelle. Je la voyais vieillir avec un certain déni. Je ne voulais plus imaginer ma solitude interne sans elle. Je l'aimais maintenant autant qu'elle m'aimait. Elle était mienne et j'étais devenue sienne. Sa douce présence en ma maison faisait partie de la texture familiale. Chanelle s'était intégrée à mon coeur. Elle s'était taillée une place de choix en mes émotions.

C'était un merveilleux chien de famille. Lorsque M'zelle Soleil a accaparé toute notre attention, elle l'a accepté sans nous en tenir gré. Elle a adopté le bébé en sa propre famille de coeur. En même temps que M'zelle Soleil est devenue petite fille, elle est devenue grand-mère. Je la voyais bien devenir vieille mais je ne voulais pas croire qu'un jour elle ne serait plus. La communication silencieuse que j'entretenais avec elle était d'une telle harmonie. Je la voyais bien vieillir mais je la voyais aussi gambader et sourire. Elle faisait partie intégrante de notre famille. Mais la vie d'un chien est bien courte à l'échelle humaine....

Pourtant ce mois dernier a été difficile pour mon vieux chien. L'arthrite est venu demander son dû de vie. La semaine dernière m'a particulièrement inquiétée. L'on est allé faire l'un de nos tours de lac et cela m'a fait du bien de la voir sourire à fleur d'eau. Un rien faisait son bonheur et le lac la remplissait de joie.

Pure Happiness

Et puis vendredi, avec M'zelle Soleil à la maison, je me suis dit que cela lui remonterait le moral d'aller se tremper les pattes dans l'eau. Mais je n'ai pas pensé à la côte...

Je l'ai un peu forcé à me suivre. Ses vieilles articulations ne suivaient plus le pétillement de son regard. Mais elle aimait tant ça. Elle m'a suivie doucement, avec confiance et sourires. La voir sourire m'a fait sourire. Elle a même repris un peu de vigueur sur le chemin et elle a descendu la côte comme une jeunette. Ce que je ne savais pas encore, c'est que c'était sa dernière balade de lac. Elle a lapé l'eau avec gourmandise, les pattes immergées jusqu'à la taille. Puis elle est sortie, contentée. Elle s'est affalée sur le sable. M'zelle Soleil a joué à sauter d'en haut rocher. Même si je sentais la fin, j'ai pris des photos comme à  mes habitudes, avec Chanelle en notre décor familial. En ne voulant pas penser que cela puisse être les dernières. Mais lorsque le soleil s'est couché et que l'on est remontées. Chanelle n'a pas voulu me suivre. De peine et de misère, elle a fait quelques pas et elle s'est effondrée.

L'acte final d'une vie canine exceptionnelle

Embarque alors le mode sauvetage. Discuter avec un voisin qui m'explique qu'il est arrivé la même chose à son vieux chien et que c'était la fin. Refuser l'inévitable en son coeur. La sauver. Lui parler. Lui dire que je reviens. Déposer M'zelle Soleil chez Sylvia. Embarquer Phil, frère de Jay, devenu grand ado et ses trois copains en ma mission.

Chanelle a vécu 6 ans chez Sylvia, Phil avait à peine cinq ans quand elle est arrivée, à six mois, en son quotidien. Il l'aime encore même s'il a d'autres chats à fouetter. Il me suit. L'on descend la côte. Chanelle le reconnait, son regard pétille. Il prend la mission à main. Il ne le sait pas encore mais quatre jours plus tard, il aidera Juan à creuser sa tombe. Mais là, on est encore en mode espoir.

À trois grands gaillards, ils la remontent à bout de bras. En haut de la côte Sylvia vient la chercher en voiture. On la ramène chez nous. De peine et de misère, elle gravit les trois marches pour s'affaler sous le sapin. Je ne veux pas y croire. Tout le monde le sait mais je ne veux pas y croire. Cela ne peut être la fin. Pas aujourd'hui, pas maintenant! Je l'aime tellement ce chien, il fait partie de ma vie, il s'est fondu à mon coeur, il s'est imbriqué dans les fibres de mon être. Le voir disparaitre, c'est aussi perdre une partie de mon intimité. Je refuse d'y croire. Je vois bien les regards désolés mais je suis sa maitresse et elle ne mourra pas ce soir!

Mais à partir de ce vendredi soir embarque l'acte final de mon histoire avec Chanelle, je le sais même si je ne veux pas le savoir. Je le sais si bien que je commence à la cajoler et à lui parler comme je ne l'ai pas fait depuis trop longtemps. Je lui ouvre mon coeur et déverse mon amour pour elle comme un baume pour sa douleur. Elle l'aspire et me regarde avec une affection sans borne.

Son coeur est lié au mien. Même si elle ne marche plus, elle me sourit encore, elle répand toute son affection pour moi. Je l'écoute. Je l'absorbe. Je lui suis si reconnaissante de m'aimer autant. De m'avoir choisie. Je sais l'entendre maintenant et même si son langage est silencieux, elle me parle en mon coeur, par cette télépathie sentimentale qui nous relie.

Au début, elle ne comprend pas trop ce qu'il lui arrive. Elle a beau être intelligente, elle ne pense pas en humain, le temps lui passe différemment sur les poils. Toutes ses émotions sont pures et simples. Tandis que je me résigne à boucler cet acte final, Juan la transporte du sapin, au salon, du salon, à la chambre, de la chambre au sapin, etc. Son train arrière paralyse. Pourtant elle a encore toute sa tête.

Je lui dédie toute mon attention. Je veux que ces derniers jours soient aussi doux que toute cette douceur qu'elle a apporté en ma vie. Cette souffrance qu'elle vit avec une si grande dignité me renverse le coeur. Mes larmes inondent mes joues alors que je lui dis au revoir, alors que je la remercie de m'avoir choisie. Alors que je lui parle et lui dit toutes ces choses qu'elle mérite d'entendre. Je réalise avec son départ qu'elle aura surement été un meilleur chien que j'aie été une bonne maitresse. Elle ne m'a jamais causé aucun tracas et ne m'a apporté que du bonheur. Je passe ses derniers jours à l'entourer de soins et de caresses. Elle roucoule presque sous mes doigts et ma voix tandis que son souffle s'accélère. Elle va de plus en plus mal. C'est une épreuve émotionnelle que de la voir ainsi décliner.

Son corps demande grâce. La mort est là. Je le sais mais je ne veux pas. Dimanche matin, aller-retour chez vet, amaigrissement de portefeuille et soulagement temporaire de ses douleurs. Je sais que c'est la fin mais lorsque je regarde dans ses yeux, je vois qu'elle n'est pas encore prête à partir alors je la ramène sous morphine. Je sais que ses heures sont comptées mais je veux juste lui donner le meilleur en ses dernièrs moments pour la remercier de m'avoir appris tant de choses que je savais pas avant de la rencontrer. Parfois durant une ou deux secondes, je reprends espoir. Mais il s'éteint lorsque je la regarde avec lucidité.

Je passe la journée de lundi à ses cotés. Elle n'a pas fait ses besoins depuis le vendredi précédent. Son état empire alors que je lui parle, que je la caresse, que mes larmes coulent dans ses poils. Elle commence à comprendre. Elle est à bout de souffle. Elle souffre avec une gentillesse qui dépasse l'entendement. Elle ne dort plus comme si elle ne voulait plus fermer les yeux et elle me suit du regard dès que je m'éloigne. Comme si elle aussi voulait passer tout ce temps qui lui reste avec moi, avec nous.

Ma tristesse est à la hauteur du bonheur qu'elle m'a donné, elle me submerge toute entière. Le dernier rendez-vous est pris. Mardi deux heures. Son dernier voyage se fait dans un calme surréaliste, je la câline durant des heures. Elle est si détendue qu'elle en est molle malgré la raideur de sa carcasse. Dans la voiture, je m'assois à l'arrière avec elle. Elle se colle à ma cuisse. Toujours le même bonheur d'être avec moi. J'apprécie sa douce présence qui m'enrichit de l'intérieur. Elle est fraiche et je lui partage ma chaleur. Je la serre contre moi. En un silence mortel l'on se rend à la clinique.

Le tracteur sur la route qui nous ralentit, le trafic qui jamme, j'absorbe en caresses tous ces moments qui repoussent l'inévitable fin. La civière. Chanelle calme, confiante, fatiguée, aimante. Elle ne sent plus ses pattes arrière. Elle ne sent pas la piqûre qui l'achève. Juan et moi entourons sa tête. Je lui dis combien je l'aime même si je sais qu'elle le sait autant que je sais qu'elle m'aime. Je lui dis qu'elle peut dormir maintenant, qu'elle rêvera, qu'elle sera bien, qu'elle pourra de nouveau courir après les bâtons. Je sais combien elle aime ses bâtons. Sa tête dans ma main ramollit, elle ferme ses yeux. Pour toujours.

En mon coeur, un éclat de canon explose et me transperce de plein fouet. Je jette un dernier regard à son corps, elle semble dormir, sereine, comme je ne l'ai pas vu depuis quatre jours. Je sors avaler mon chagrin sur le parking, entre deux sanglots. je fais fuir un homme et son cabot. Je la sens encore dans mon coeur. Je la pleure. Elle mérite chacune de mes larmes. C'est plus qu'un chien, c'est Chanelle. Elle m'habite maintenant. Je me dis que c'est certainement une belle réussite canine. Mes larmes sont le fruit de sa bonté, de son intelligence, de sa gentillesse. Je réalise à quel point elle a apporté à mon quotidien. Sa présence douce était une sécurité mentale qui a adouci mes jours. Son bonheur toujours contagieux me faisait du bien à l'âme sans même que je ne m'en rende compte. C'est fou comment l'on comprend tout ce que l'on a perdu une fois qu'on ne l'a plus. L'humain est mal fait.

Bribes et souvenirs


J'aime les chats. Pour être avec moi, elle les acceptait dans sa bulle canine. Certains se sont même attachés à elle avant d'être pris par les dangers de la forêt. Henri, le chat de maison depuis trois ans, le seul à être assez malin pour survivre à sa liberté, l'aimait bien. Il la cherche un peu depuis hier soir.

Au fil des années, sa présence a tissé la texture de notre quotidien. Pour moi qui travaille à la maison après avoir materné ma fille à la maison, ces dernières années ont été accompagnées de Chanelle. C'est certainement l'être vivant avec qui j'ai passé le plus de temps. En toute simplicité. J'aurais voulu être une meilleure maitresse. Même si je l'aimais et la respectais, j'étais solitaire. Elle se fondait en ma solitude. Juan me dit qu'elle aimait ça. Elle aimait être mon ombre et je m'imprégnais d'elle. Je sais aussi qu'elle aurait aimé que je la cajole plus. Comme je l'ai cajolé ces jours derniers, sans répit.

Mais je pense quand même qu'elle était heureuse. Nos deux personnalités se mélangeaient sans effort. Elle respectait toutes mes limites tout comme je la respectais en sa personnalité. Je la protégeais du monde cruel des humains. Elle avait la vie douce à nos côtés. Ceux qui la connaissent bien sont tous impressionnés par la vie qu'elle s'est faite. Même si ce n'était qu'un chien, c'est par son intelligence et ses qualités qu'elle s'est faite la vie belle. Elle fera toujours un peu partie de moi maintenant.

Jour de printemps

Pourtant son destin était tragique à la naissance. Récupérée par la SPCA, elle avait vécu ses six premiers mois dans la violence humaine. Elle en était restée marquée mais ni aigrie, ni rancunière. Elle ne faisait juste plus jamais confiance aux mâles humains.

Sylvia l'avait adopté le jour qui précédait son ordre d'euthanasie. Elle avait six mois. Durant douze ans, elle a vécu entre lac et forêt. Admirée des uns, aimée des autres. Même si j'étais sa maitresse, elle était très sociale. Elle se faisait des amies facilement. En face, Yolande était l'une de ses bonnes amies. Yolande, 80 ans et d'une forme étonnante. Petite bonne femme au destin égaré, madame chats, amie de tous les animaux. Yolande qui a aussi craqué pour Chanelle. Depuis deux ans, tous les matins, Chanelle allait chercher sa toast en face. Cela faisait partie de ses rituels du matin. Petite promenade de bois, pipi et toast chez Yolande avant de venir retrouver ma peau concentrée. Vendredi dernier, c'était le premier matin où elle n'a pas pu monter les escaliers pour aller chez Yolande...

Yolande est venue m'aider à la laisser partir. Elle est venue lui dire au-revoir. Elle l'aimait aussi. Du haut de sa vieillesse, elle lui a parlé comme je ne pouvais le faire. Yolande qui la gardait toujours avec tendresse si l'on partait quelques jours. Et derrière chez Yolande, il y a la maison de Sylvia. Elle repose en paix maintenant entre boisé et maison de Yolande. À quelques pas de son sapin préféré devant ma maison. Juan et Phil on creusé sa tombe. En son dernier repos, les oiseaux chantent et les souffles de la forêt embaument l'atmosphère. Une fois mise en terre, nous avons tous évoqué nos meilleurs souvenirs avec elle. Et c'est la fin d'une belle histoire canine.

Dehors, c'est le déluge, en cette première matinée sans elle, le ciel pleure. Il s'harmonise avec mon chagrin du jour. J'apprécie son obscurité et sa fraicheur. Je vis une solitude nouvelle. En ce premier matin sans elle, une implacable tristesse m'imprègne l'humeur. Sa présence imprègne encore l'atmosphère de la maison. Je suis bien seule ce matin. Henri le chat monte la garde de mes larmes. Il a surement compris qu'elle était partie.

Et en ce premier matin sans elle. Il y a un vide en ma maison. Un silence nouveau. Les larmes coulent. Le manque se fait ressentir. La concentration de me fuit. Travailler est difficile. En ces mots s'inscrit mon deuil. Les mots coulent pour contrôler ses larmes qui me piquent les yeux. les souvenirs m'assaillent par centaines. L'affection que je ressens pour elle vit en moi. J'espère avoir été digne d'elle. Je suis heureuse de l'avoir connue et aimée.

Tous ceux qui ont connu une relation inter-race comprendront certainement cette peine qui me traverse. Je ne veux jamais oublier ce chien merveilleux qui s'est épris de moi et qui restera gravé en de précieux souvenirs. Paix à ton âme Sweet Chanelle...

mardi 10 mars 2009

Poésie humaine

Quelque part dans le mois de mars 2005, à l'occasion de la semaine contre le racisme, j'ai été invitée à écrire un texte sur ce sujet pour ensuite le lire en introduction de la soirée en question. Ce petit texte fut bien accueilli et récolta une salve d'applaudissements de la salle où siégeait une centaine de spectateurs de toutes races. Une belle soirée, de la bonne bouffe, un beau souvenir...

Poésie humaine

En ce moment même, quelque part sut Terre, un enfant naît. Qu’il soit blanc, noir, jaune, rouge ou métissé, il offre son premier cri à l’univers de la même manière. Il respire sa première bouffée d’air. Sentez-vous le souffle de son âme qui se joint à nous?

Quelque part sur Terre, à ce moment même, un humain décède. Qu’il soit blanc, noir, jaune, rouge ou métissé, il se meurt tout comme les êtres qui le précédèrent. Comme tous les autres avant lui, en une dernière expiration, il s’évapore. Sentez-vous son souffle qui disparaît de notre univers?

Entre ces deux moments d’existence, les humains déroulent leurs chemins de vie de multiples façons. Des civilisations s’épanouissent, des cultures s’évanouissent, des hommes et des femmes se débattent entre obstacles et satisfactions, désirs et restrictions, envies et déceptions. Chaque forme humaine s’inscrit dans ce flux de vie qui fait vibrer la Terre de mille émotions.

Qu’importe la couleur de sa peau, lorsqu’un homme pleure, ses larmes sont toujours salées. Qu’importe sa culture, lorsque femme saigne, son sang est toujours rouge et de quelque origine qu’il soit, lorsqu’un enfant s’amuse, son rire a toujours la même saveur. Pourquoi haïr ces différences qui n’existent que dans l’ignorance?

Tant de richesses invisibles se cachent dans l’échange de nos différences visibles! Si nous étions tous sculptés du même bois, tous tissés de la même laine, tous uniformes et sans variétés pour nous différencier, que pourrions-nous apprendre les uns des autres?

Si l’on s’ouvre à l’inconnu, si l’on dirige son cœur sur des voies de tolérance et d’amitié, l’esprit découvrira alors toute la profondeur, toute la beauté de notre humanité. L’autre n’est pas seulement celui qui nous ressemble, celui de notre race qui partage les mêmes idées, les mêmes valeurs. L’autre c’est aussi celui qui est distinct, celui que l’on comprend mal ou point.

L’humanité possède tant de facettes étranges, pourquoi ne pas ouvrir grand ses yeux, son cœur et son esprit à toutes ces couleurs, coutumes, et différences? Pourquoi ne pas partager nos connaissances pour essayer de mieux se comprendre?

Car tout aussi différent des uns des autres que nous croyons être, nous avons tous la même essence humaine. Nous avons tous besoin d’eau, d’air et d’amour pour survivre sur cette Terre. Nous naissons tous dans une giclée de sang et nous redeviendrons tous poussières….

Les douleurs d'Aline

Les douleurs d'Aline

Aline avait un secret mais personne ne s'en doutait. Tous les jours Aline pleurait mais personne ne le savait. Aline cachait ses maux derrière ses sourires car aucun mot ne pouvait exprimer l'intensité de son malheur. Aline ne voulait pas que l'on s'apitoye sur son pauvre sort. Aline était orpheline mais ses deux parents étaient en vie. Aline faisait partie de ses enfants abandonnés que l'on n'avait jamais su aimer à leur juste valeur. Jolie, marrante, le monde extérieur la trouvait charmante mais qui pouvait imaginer le gouffre de son coeur?

Pour combattre son horreur, elle avait recherché ailleurs l'Amour qu'on lui avait refusé. Elle avait ramé sur des eaux boueuses avant de le trouver chez un grand garçon aux allures rieuses. Elle avait alors appris que l'Amour ne se parle pas autant qu'il se vit. Avec le temps, elle avait compris que les mots sont parfois vides du sens qu'ils transportent. On les dit pour se donner bonne conscience mais s'il n'y a pas de sentiments ou de gestes pour les faire vivre, ils deviennent aussi creux qu'une mine déserte.

Un mot s'entend puis se ressent, si on ne fait que l'entendre, il ne sert à rien, il devient inutile, désuet. Il faut le ressentir pour pouvoir accrocher son essence en son coeur. Les mots qui expriment l'amour ne servent à rien s'ils ne véhiculent pas l'émotion adéquate. Aline avait appris avec les années à reconnaitre l'invisibilité des sentiments. Elle ne faisait pas confiance aux mots qu'elle entendait mais plutôt aux gestes qu'elle auscultait dans le silence de sa maturité. Aline taisait sa peine car après tout qui pouvait comprendre ces douleurs étranges qu'elle gardait enfouies dans les noirceurs de son âme blessée?

Brève datée de 2005

samedi 7 mars 2009

En 2040...

En 2040...

Le printemps réveille la nature qui resplendit de lumière limpide. Le lac a retrouvé son état sauvage. L’air pur fouette nos joues roses. Quelques voiles se dessinent à l’horizon. Dans le soleil couchant ma fille, désormais femme, revient à la source de son origine. Silencieuse, je l’observe de loin, le cœur rempli de fierté. Elle repartira demain en mission pour la nouvelle station spatiale. Comme à l’habitude, je garderai ce chien qui lui rappelle tant Chanelle.

Je frôle la main de Juan à mes cotés et je me plonge dans son regard plissé de rides, il me sourit. Sa tignasse poivre et sel m’émeut sans que je ne
sache trop pourquoi. Au bord du grand lac, mon fils, devenu homme, joue avec ses propres enfants. Le temps se conjugue à mes souvenirs qui s’effacent dans les reflets de l’eau douce. Miroir de mes instants passés. Je passe une main dans ce qu’il me reste de ces boucles folles, teintées d’acajou, qui m'entourent le visage. Je sens son bras m’entourer de tendresse. Sereine. Je me fonds dans le tableau de ma vie.


Utopie réfléchie en 2006...

lundi 27 octobre 2008

Les blessures de l’âme

Les blessures de l’âme sont souvent ignorées dans les expressions de nos réalités. Invisibles à l’œil nu, elles touchent parfois le corps, elle le déboussolent sans en avoir l'air. Elles sont le lot de tous, à chaque échelle, à chaque culture, à chaque être, à chaque âme, des multitudes de blessures internes. Des blessures qui suintent des trillions d'actes humains…

Mais est-ce le cœur ou l’esprit qui est malade ? Comment reconnaître ces souffrances qui parcourent l’intérieur des êtres ? Est-ce que le cœur peut être responsable des déboires de l’âme ?

La douleur, tout comme Dieu, est la même pour tous, même si elle se décline en autant de différentes variations. Chacun l’interprète à sa manière. Certains s’en nourrissent, d’autres la fuient. Plusieurs l’étouffent entre quatre murs bien calfeutrés d'où l’on ne laissera jamais personne entrer.

Certains, pour s'en défaire choisissent l’aventure, ceux là pensent qu’ils pourront ainsi les oublier, les soigner. L’Aventure comme baume que l’on applique sur ce morceau d’âme qui fait mal.

Les blessures de l’âme sont aussi réelles que celles du corps. Comme l’on ne peut les voir, les ausculter, les palper, les diagnostiquer, les irradier, elles restent effrayantes, mystérieuses. Peu savent les apprivoiser, les guérir. Elles cicatrisent souvent bien mal, promptes à se rouvrir au moindre coup bas. Elles saignent d’émotions sans nom. Elles marquent l’esprit à vie. Elles l’affaiblissent ou le renforcent suivant comment elles sont gérées, assimilées, acceptées. Intimes, intérieures, elles perturbent l’extérieur avec subtilité. Certains disent même qu’elles peuvent atteindre la chair, l’empoisonner. Les blessures de l'âme emprisonnent le corps en des cancers insoupçonnés. Elles reflètent les maux de notre humanité.

L’esprit blessé souffre dans un univers d’abstractions sans compréhensions. Dangereuses, parfois mortelles, les blessures de l’âme arrivent parfois à pénétrer les réalités. Quelques médecines douces et autres spiritualités essaient d’en venir à bout. Il y a toutes sortes de remèdes, aussi étranges que les tourments qui étranglent ces quotidiens que l’on voudrait fuguer.

Premier brouillon écrit en 2004, virtualisé en mai 2007...

jeudi 7 février 2008

Nouvelle fiction

Extrait d'une nouvelle de science-fiction en construction....

"Ses doigts s’agitent dans le vide. Une profonde fatigue l’enrobe toute entière. En son sommeil tourmenté, Zélie explore un monde qu’elle ne comprend pas. Des couleurs irisées l’éblouissent. Des sons distortionnés la déconcertent. Elle cherche des repères dans cet univers inconnu. Elle n’en trouve point. Elle sombre. D'étranges créatures auscultent son corps. Une sourde frayeur s’empare de ses sens. Zélie cherche le contact de son homme. Elle se tourne et se retourne, elle le cherche, elle s’étonne de cette absence sans arriver à franchir la frontière du réveil. Elle frissonne de la tête aux pieds. Elle a froid. Trop fatiguée pour s’inquiéter davantage, elle se laisse bercer par ce vrombissement qui l’assoupit inexorablement. Le temps se fige. Elle dérive.

Elle sent pointer ses mamelons durcis. Elle sent monter le lait en ses seins gonflés. Une douleur lui vrille la poitrine. D’un coup, l’impression de se faire téter lui parcoure la chair. Elle se cambre, elle résiste, elle essaie de repousser cette bouche frigide. Elle n’arrive pas à se réveiller. Son esprit se débat mais son corps ne répond plus. Sa volonté fond comme neige au soleil. La fatigue, tentaculaire, l'emporte. Elle n’a plus la force de se débattre. Trop épuisée pour batailler, elle imagine que son homme a pris le petit affamé. Elle plonge encore plus profondément dans cet incompréhensible songe. Il l’aura emmené dans leur lit pour qu’elle puisse l’allaiter sans bouger. Elle est si fatiguée. Elle se rassure. Elle en appelle à sa raison. Elle se détend. Toujours ce même vrombissement pour bercer ces sensations étranges qu’elle n’arrive pas à déchiffrer. Elle essaie de décrypter ce qu’elle ressent sans y parvenir. Elle s'inquiète. Sa peau nue se couvre de frissons.

Le rêve tourne au cauchemar. Elle ne sent pas le contact de la douce chair de son enfant. Elle ne ressent pas la chaleur de sa bouche gloutonne. Ce qui la tète est plus vorace. Tout lui semble gelé. Elle a si froid. Elle essaie d’ouvrir les yeux. Elle cherche à transpercer ce voile d’épuisement qui l’emprisonne. Elle n’y arrive pas. C’est trop difficile. Elle est paralysée. Elle se laisse bercer par une multitude de couleurs éblouissantes. Ce rêve est de plus en plus étrange. Elle respire bruyamment. Elle grelote. Elle a peur. Elle puise dans toute sa volonté pour ouvrir un œil. Elle force ses paupières, soudainement elle réalise que celles-ci sont collées par une étrange substance. Une sensation gluante agresse ses sens. Elle hoquette. Un goût amer s’introduit dan sa bouche. Elle essaie de bouger sa main mais son poing reste bloqué. Elle tire. Elle force. Zélie sent quelque chose la retenir mais elle n’arrive pas à en déterminer l’origine. Tout son corps est englué dans une matière visqueuse. Elle se concentre sur cette chose glacée qui lui aspire les mamelons. Elle est convaincue que ce n’est pas son enfant qui la tète de cette façon, si froidement, si machinalement. Elle réalise que ses deux seins se font pomper en même temps. Elle sent le lait se vider de ses seins. Toutes ces réalisations concrètes bloquent le liquide nacré que produit sa chair maternelle. L’angoisse étreint son ventre mou. Ainsi dénudée, elle se sent violée au plus profond d’elle-même. Aucun objet ne la pénètre, pourtant l’humiliation ressentie lui est insupportable. Elle rage. Les succions diminuent à mesure que son lait se tarit. Elle a faim. Elle soupire."

Heath

Il avait encore fait la fête jusqu’à l’aube. Comme à son habitude, il était épuisé mais toujours le sommeil le fuyait. Depuis qu’il était rentré de Londres pour se reposer quelques jours, il n’avait fait que s’évaporer les idées troubles entre deux copains et trois filles, n’importe quoi d’artificiel pour panser cette plaie béante qu'il cachait au fond de lui. Cette souffrance intense qui le dévorait de l’intérieur. Tout pour oublier sa solitude interne, tout pour oublier à quel point il souffrait de ne plus être avec elles.

Le jour se lève. C’est à ce moment là que la souffrance est la plus réelle. Ses pensées lui se font la guerre. Il y a aussi ce rôle qui le hante. Ce rôle qui le poursuit comme un mauvais trip. Quel horreur que ce joker de lequel il avait pris la peau. Il n’arrivait pas à se défaire de ces sensations sombres qui aspiraient ces nuits entières. Insomnies extrêmes. Il ne voulait pas avouer qu'il était malade même s'il essayait désespérément de se soigner. Si seulement il arrivait à dormir comme avant. Il regarde la photo de sa toute petite fille. La peur lui vrille le ventre. Ne plus être son père. Elle lui manque terriblement. Il sent se creuser un fossé entre eux. Elles s’éloignent. Cela lui fait mal. Son cœur est en sang. À peine s’il se rend compte qu’il avale deux de ces comprimés qui sont supposés étouffer son anxiété. Il a une mine de déterré. Il décide de prendre une douche. L'eau fraiche lui fait bien. Triste comme les pierres, nu comme un vers, il se couche sans rien espérer. Il rumine ses pensées. Dans un coin d’obscurité quelque chose vit, quelque chose le regarde, quelque chose sourit. Heath n’en a pas conscience, la douleur qui lui perce le ventre prend trop de place. La pleine lune a brillé toute la nuit, la pleine lune se couche avec lui. New-York vibre en toile de fond. Il s'étire dans son lit. Dans sa tête en furie des images d’elles se succèdent, Mathilda, Michelle…

Elle l’a mis à la porte et il ne lui en veut même pas. Il la comprend. Elle a bien fait. Il est intenable. Pourquoi ne peut-il pas apprécier ce qui lui fait du bien à l’âme. Sa femme, sa fille, une famille, une normalité sans strass. Pourquoi doit-il toujours succomber à ce besoin de faire la fête, de s’échapper, de n’en faire qu’à sa tête? Entre deux états de songe, il se comprend à peine, il erre dans le dédale de ses petites misères. Ses pensées se chevauchent les unes par dessus les autres sans qu’il n’en possède le contrôle. À l'heure de ses vérités, il pense à ces dernières conquêtes et il se dégoûte. Combien de fois a-t-il baisé sans aimer durant ces derniers mois? Les filles comme des abeilles ne cherchent qu’à le butiner. Il s’y laisse trop souvent aller. Pourtant aucune de ces femelles n’arrivent à lui faire oublier Michelle. S’il avait été elle, il ne se serait pas non plus supporté. Il se serait foutu lui-même à la porte. Dans un coin d’obscurité, alors que le jour commence à éclairer l’appartement, quelque chose guette, quelque chose se nourrit de cette tristesse qui envahit toute la pièce.

L’homme se tourne et se retourne entre ses draps. Il geint. Il se relève. Il avale un somnifère. Il ne se sent pas bien. Son cœur lui pèse tant. Une angoisse de fond lui fait perdre le cours de sa raison. Il veut dormir, juste dormir plus de trois heures à fois, juste dormir, se reposer, en paix. Il est complètement déréglé par la multitude fuseaux horaire qu’il a traversé ces derniers temps. Son âme souffre. Son corps peine à suivre la cadence. Son téléphone sonne. Il ne répond pas. Il voit sur l’afficheur que c’est Helena. Elle doit venir le voir d’ici quelques jours. Nul besoin de répondre. Il la verra bien assez tôt. Encore une autre belle plante qu’il charmera et baisera en pensant à la mère de son enfant. Il a subitement l’impression d’être englouti au fond d’un gouffre. Il suffoque. Le monde, cette vie qu’il mène, où est le sens de tout cela? Il avale un autre comprimé pour calmer cette anxiété qui le bouffe tout entier.

Si la vie est un jeu d’échecs alors il n’est pas sur de maîtriser cette partie. Sur ce coup là il perd tous ses moyens. Il pense à elle. Elle qui ne veut plus de lui. Elle qui le repousse de plus en plus souvent. Elle qui s’est dégoûtée de lui. L’aime-t-il encore, il ne sait plus très bien. Il passe tellement de temps à chasser d’autres femmes qu’il ne se pose même plus la question. Car s’il se la pose, il connait la réponse. Oui, il l’aime encore. Il le sait très bien au fond de lui. Il l’aime encore mais il n’arrive plus à la rejoindre. Pourtant elle l’aime encore, il le sent tout au fond de sa chair. Elle l’aime encore mais pour combien de temps? En son cœur déchiré résonnent de puissants sentiments. Elle l’a jeté mais c’est lui qui a démissionné le premier en la décevant si profondément. Que peut-il faire maintenant? Il pense à son petit bout de fille. Il a laissé l’enfant à sa mère. Son ange tombé du ciel. Il aime tant être son père. Il a besoin d'elle pour grandir tout autant qu'elle a besoin de lui. Il avait tant d’ambitions à sa naissance. Dans ces moments là de ses dérives intérieures, il réalise combien il aime ce petit bout de lui qui lui ressemble tant. Il l’aime comme jamais il n’a aimé auparavant. Il soupire. Il ferme les yeux. Les premiers mois de la vie de cet enfant l’ont tout simplement renversé. Jamais il n’avait connu tel joie, tel bonheur, telle bien-être, telle sérénité, telle profondeur. Sa petite fille, ailleurs, sans lui, sa fille à lui, sans lui.

Il se recouche, les idées emportées en un infernal tourbillon, il lui est impossible de trouver le sommeil. Le cœur en miettes, l’esprit hors de contrôle, il prend l’une de ces pilules contre la douleur. Il somnole. Une heure passe, la matinée s’affirme, il ne sent plus rien. Il se tourne et se retourne entre ses draps froids. Il grogne, laissant échapper une souffrance que personne n’entend. Il est seul. Seul dans les ruines de sa vie sentimentale. La femme de ménage devrait arriver d’ici quelques heures, ensuite la masseuse et puis la fête, encore, tard dans la nuit, pour oublier, toujours plus. Sa tête est en feu, des idées troubles engloutissent chacune de ses pensées. Il prend une autre pilule pour panser sa peine. Il se force à ne pas bouger. Des flashs du joker lui reviennent en mémoire. Il en perd ses morales, ses repères, il glisse. Quel métier de merde. Et toute cette superficialité, toute cette dope, toute cette surface qui brille, tout ce creux qui scintille. Il en marre. Sa poitrine se serre. Il voudrait la prendre dans ses bras. Il voudrait voir son bébé sauter dans son lit, se coller contre lui, sentir la douceur de sa peau, s’imprégner de cette innocence qui le transporte en des endroits si doux. Il geint.

Pourquoi n’arrive-t-il plus à dormir? Depuis des mois, le sommeil le quitte, comme elles l’ont quitté, le sommeil est resté avec elles. Il voudrait dormir comme il n’a pas dormi depuis des mois. S’il arrivait à dormir, ses idées seraient plus claires, il se sentirait moins faible. Il serait peut-être plus fidèle à lui même. Dormir. Il enfonce sa tête dans son oreiller. Il pleure. La solitude interne, ne rien partager de réel dans un univers de paillettes. L’argent qui ne signifie plus rien. Le cirque des photographes et des journaux à potins. Il renifle, il a du mal à respirer. Il regarde la photo de Mathilda, si petite, si douce, son enfant à lui, père. Il veut tant être son père. Plus que tout au monde il veut l’aimer. L’aimer comme il n’a jamais su aimer aucune femme, peut-être parce-qu’il les aime trop, il ne sait pas, il ne sait plus. Il sait juste qu’il veut aimer et la protéger. Il rêve de fidélité, de félicité, mais il a du mal à ne pas voir toutes ces petites fesses qui se pavanent sous nos nez. Les petites fesses qui ne sont rien de plus que du vent dans le néant de ce monde insensé composé de poudre d’étoiles. Il a mal. Dans le placard entrouvert quelque chose surveille. Bien installé dans l’obscurité, quelque chose attend.

Il avale un autre somnifère. Il a oublié le compte des pilules qu’il a avalé, l’esprit en vrille, cela fait déjà deux heures qu’il essaie de dormir, couché à se torturer le cœur, il n’en peut plus. Fuck la marde, il en a trop putain de marre, il veut juste s’assommer le crâne assez longtemps pour survivre à cette douleur qui lui enserre les entrailles. Il avale une dernière gorgée d’eau et se recouche sur son oreiller. Il serre les poings, ferme les yeux, il sent quelque chose approcher. Un bref instant, un flocon de lucidité tombe dans la fournaise de ses cogitations, il se demande combien de pilules il a pris depuis qu’il est rentré? Il a oublié, il veut juste oublier. Une sensation sourde l’étouffe un peu. Il respire avec difficulté. Quelque chose approche. Cela ne peut être que le sommeil. Il l’attend avec soulagement. Il ne voit pas la bête sombre qui se cache en son nuage d’oubli. Il ne veut pas voir la bête sombre qui le chasse depuis si longtemps. Il ne sent pas combien elle l’avale en ricanant à pleines dents. Il sombre. Il plonge dans un sommeil si profond qu’il ne se rend plus compte de rien. Il se meurt sans avoir conscience de ce qui l’aspire. Une sombre créature rugit de bonheur. Ça y est, elle l’a enfin attrapé dans ses filets maléfiques, c’est gagné! La créature en bave de joie, avec cette proie, elle pourra répandre un nuage de tristesse qui touchera plein d’endroits sur la planète. Avec cette proie, une brillante lumière humaine s’éteindra. Les répercussions seront nombreuses. Il est rare que la chose soit heureuse mais avec cette proie, elle célèbre le pouvoir du désespoir. La créature rit d’un son lugubre qui glacerait immédiatement le sang de quiconque l’entendrait. Mais cette bête est de l’autre coté du miroir et dans l’appartement silencieux, personne ne l’entend.

Il rêve qu’il flotte. Il rêve qu’il se réveille, merde alors ça va pas recommencer!!! Voilà qu’il était enfin tombé comme une masse! Voilà qu’il était si proche du repos! Il se lève et il se voit. Merde. Il est debout devant lui. Son corps dort encore. Merde, il est mort! Merde, merde, merde! Il voulait dormir mais pas à ce point là! Peut-être n’est-ce pas irrévocable? S’il essaie de se recoucher dans son corps, il pourra sûrement reprendre le cours de sa vie. Il aime la vie, il aime sa fille, il ne veut pas mourir comme cela! Il se trouve un peu con sentimentalement parlant mais il aime vivre, grandir, mûrir, traverser ses conneries. Il a espoir de devenir un homme meilleur. Il se couche en son corps inanimé. Rien ne se passe. Merde! Merde. Merde. Il se relève. Il se regarde, on dirait bien qu’il dort. Il n’a pas tant l’air mort! Dans un coin sombre de la pièce il entend un rire glauque qui le glace, il se retourne d’un bond. La créature faite d’obscurité sort de l’ombre. Elle l’observe et lui chuchote d’un ton lugubre…

- Je t’ai eu!

Il reste figé. Il regarde son corps qui ne lui sert plus à rien. La créature fait un pas hors de l’ombre, c’est une entité opaque, sans forme précise, qui semble onduler de l’intérieur. Instinctivement Heath se recule. La brume qui embrouillait ses pensées depuis des mois se dissipe d’un coup. Alors que son esprit s’éclaircit la chose commence à parler d’une voix gutturale :

- Tu vois, je t’ai mangé et te voilà tué. N’est-ce pas beau? Sais-tu que je me nourris des conneries de mes proies. Et là tu viens de faire une belle connerie mon gars! Je sais que tu peux me comprendre. Je ne suis pas si loin de cet intense rôle qui a avalé tes dernières forces. Vois-tu, je me suis nourris de tes faiblesses. Enfin j’ai réussi à les utiliser pour mon compte, pour mieux t’attraper. Sais-tu que cela fait des mois que je te chasse. Tu étais une si belle cible, comment résister? Tu faisais rêver tant de jolies filles. Tu étais même capable de toucher les mâles. Tu faisais tant rêver, tu dégageais tant de charisme, tu ne pouvais continuer de répandre ainsi ta lumière divine. Tu aurais du te douter du risque! Je dois avouer que cela ne fut pas facile de t’accrocher mais j’ai réussi à partir du moment où elle t’a foutu dehors. Sans que tu ne le saches, je me suis accroché à tes sacs et j’ai commencé à vivre à tes cotés. J’ai exercé mon influence néfaste sur ta vie avec de plus en plus de facilité. Je savais bien que je pourrais t’avoir. Les autres m’ont dit que je perdais mon temps. Mais je n’ai écouté que mon instinct. Je savais que je pourrais te mettre à ma portée. Oh! Tu t’es débattu un peu mais pas tant que cela finalement. Hollywood est un bon terrain de chasse pour ceux de mon espèce. La pourriture qui se cache sous les paillettes est un excellent déguisement pour les miens. Tu sais de quoi je parle, tu la connais cette pourriture qui te rend malade, c’est celle-là même qui me cache et c’est grâce à elle que je t’ai soufflé du royaume des vivants. Ah! Que la nouvelle est bonne!

Heath serre des dents. Son esprit est plus clair qu’il ne l’a jamais été. L’acidité en ses entrailles le tenaille. Son être lui fait plus mal que s’il avait encore des organes pour ressentir quelque chose de physique. Merde! Putain de merde! La créature est bavarde. Elle continue de converser, elle s’autocongratule et il est hypnotisé par le flot de ces paroles qu’elle déverse sur lui.

- Tu vois, j’ai un pouvoir particulier, j’absorbe les pires craintes et je les renverse. J’en fais mon profit. Ceci m’amuse particulièrement. Ainsi tu craignais au plus profond de toi de ne plus revoir Mathilda, n’est-ce pas? En vérité, peut-être pourras-tu certainement continuer de l’apercevoir, cela ne sera pas de mon ressort mais elle ne pourra plus jamais te voir car tu es mort. Disparu. Fini. Adios. Ces deux dernières pilules que tu as prises, celles que tu as avalés par automatisme sans trop réfléchir, c’était moi qui guidait ta main. Moi qui savais le cocktail fatal. J’ai profité de ta faiblesse pour forcer ce geste mortel! C’est comme cela que je gagne. Je m’insère dans ta vie, je fais grandir tes angoisses et une fois que ta volonté est décimée, je peux te forcer à agir en ma direction. Tu es une proie. Je suis un maître en ma matière. Par ce geste que j’ai inséré en toi, je t’ai capturé. Tu peux te dire que tu n’es qu’une victime de plus à mon tableau de chasse. Mais sache que tu es au top de mon palmarès. Grâce à toi une vague de tristesse touchera des milliers peut-être même des millions de foyers, une multitude de jeunes femmes pleureront sur ton souvenir. Ton destin malheureux sera diffusé sur tous les écrans. L’amertume grandira. L’incompréhension. La confusion. Un souffle tragique traversera le monde et je me délecterai de ce malheur si savoureux. La douleur des tiens sera profonde. Sais-tu que tu viens de briser le cœur de Michelle?

Oui il savait. Il le savait et le comprenait plus que jamais. Comment avait-il pu être aussi con! Maintenant que son corps refroidissait devant lui, il se rendait pleinement compte de tout ce qu’il avait raté. Il avait rendu la vie insupportable à Michelle. Elle avait eu raison de lui en vouloir autant. Il l’avait fait souffrir inutilement. Et maintenant comment allait-elle vivre son ultime bourde? Merde! Il l’avait aimé plus qu’il ne se le fût jamais avoué, il avait aimé sa simplicité et son coté non sensationnel. Il avait aimé ce bon sens qu’il voulait pas respecter. Il aimait l’idée de cette vie qu’elle avait voulu lui offrir. Une vie de parents et d’amants sans histoire. Pourquoi n’avait-il pas été capable de résister? Serait-il dans cette position s’il avait fait plus d’efforts pour elle. Était-ce à cause de cette chose qui l’observait avec acuité qu’il se retrouvait là?

- Oui tu as raison cette fille aurait pu te sauver. Si tu lui avais donné une chance au lieu de suivre ta clique de gypsy qui t’a amené tout droit dans mes bras, tu aurais pu me mettre en échec. Mais là, c’est moi qui gagne la partie. Bingo! Et la cerise sur mon gâteau, c’est que désormais la culpabilité qu’elle ressentira de t’avoir laissé dans ta merde lui rongera le reste de sa vie. N’est-ce pas beau tout cela?

Heath voudrait étrangler cette chose, l’anéantir pour qu’elle se taise Chacun de ses mots est une forme de torture. La haine qu’il ressent envers cette créature est indescriptible. Tandis qu’il la regarde avec hargne, elle change de forme, elle prend allure humaine, elle prend les traits du Joker. Il comprend bien ce qu’elle lui montre. Il comprend trop bien ce qu’elle est. Merde. Il entend une porte s’ouvrir. La femme de ménage entre dans l’appartement. Il se téléporte à ses cotés en une simple pensée. Un peu décontenancé il observe cette femme qui commence à ramasser le linge qui traîne. Elle range les bouteilles, elle met à la poubelle une peau de banane qui pourrit sur le comptoir de la cuisine. Il se place juste devant elle. Elle ne le voit pas. Merde. C’est donc vrai. Il est devenu fantôme? Merde! Elle passe devant sa chambre sans y entrer. Il voudrait la pousser à ouvrir la porte mais il est passé de l’autre coté de la vie. Il ne peut plus la toucher. Il voudrait qu’elle aille le voir. Peut-être peut-on encore le sauver? Si seulement elle pouvait s’en inquiéter. Mais il a beau la suivre de prés, elle le traverse comme s’il ne soit rien d’autre que de l’air. Invisible, il refuse de se résigner. Elle continue d’effectuer ses taches de ménages sans se préoccuper de sa présence. Il se concentre. Rien ne se passe.

La femme sait que c’est un acteur de cinéma, elle l’a déjà vu dans des films, il n’est pas son genre. Elle lui parle peu. Elle fait partie du décor, elle ne fait pas partie de sa vie, elle n’a pas accès à son monde. En une autre pensée, il retourne à sa chambre où l’attend la créature redevenue forme obscure. Il sent qu’elle se nourrit de lui. Elle recommence à parler :

- Savais-tu seulement à quel point tu pouvais toucher les gens? Savais-tu seulement toute la portée de ton talent? Je t’ai fauché en pleine gloire. Ah! Que c’est beau. Mon patron sera fier. Avec toi, je vais gagner du galon. Tu aurais pu mettre tant de lumière dans ton monde. Heureusement pour moi, tu n’as pas su maîtriser tes pulsions destructrices Sais-tu seulement comment ta perte va remuer toute ta communauté, comment elle va arriver à perturber le quotidien de certains? Je prédis que tu vas faire couler des torrents de larmes. Des larmes dans lesquelles je me baignerais avec tant de plaisir. En t’attrapant dans mes cordes, je vais pouvoir répandre toute cette tristesse que tu gardais en toi. Cela va être délicieux. D’ailleurs tu devrais me remercier, je viens de faire de toi une légende…

À écouter déblatérer cette chose immonde, Heath voudrait mourir mais il est déjà mort alors il ne peut rien faire de plus que de se recroqueviller en une petite boule spirituelle. Il voit arriver la masseuse. Dans son coin d’ombre la créature rigole, la masseuse s’approche de son corps. Il s’approche de la masseuse. Il essaie de la toucher mais sa main transparente n’a plus aucune consistance. Il essaie de marcher, Il se rend compte qu’il projette l’image à laquelle il s’est habitué ces 28 dernières années mais que ce n’est plus qu’une illusion. Pendant que la masseuse fait des appels frénétiques avec son téléphone. Il regarde une photo de sa fille, la même qu’il a regardé des heures durant sans être capable de trouver le sommeil tellement son manque d’elle était fort. Sa fille blonde comme les blés, son portrait tout craché, sa fille qu’il ne fera plus jamais rire ni pleurer. Sa fille adorée, son ange tombée du ciel, celle qui a touché son cœur le plus fort. Et c’est à elle qu’il aura fini par faire le plus de mal. Est-ce qu’elle se rappellera encore de lui lorsqu’elle aura vingt ans? Est-ce qu’elle lui pardonnera d’avoir été si faible? Est-ce qu’elle lui pardonnera de s’être laissé emporté par cette chose macabre? De s’être laissé distraire par le plaisir de tout ce que la terre avait à lui offrir, d’avoir abusé des bonnes choses sans avoir su apprécier les vraies beautés sur son chemin. Sa femme. Elle aurait pu être sa femme. Michelle. Elle n’aimait pas le voir rentrer aux petites heures, un de ses potes à ses basques, décomposé par une nuit de party. Elle avait raison. Malgré ce que sa troupe de star en disait, ce n’est pas lui qui méritait mieux c’était elle qui méritait mieux de lui.

La masseuse affolée a commencé à rameuter la cavalerie. Le cirque va commencer. Il est blasé. La créature sans nom le regarde intensément. Un rictus dégueulasse se dessine sur ce qui lui fait office de face. Heath sent une étrange chaleur lui irradier le dos. Il se retourne, une lumière vivifiante apparaît dans la porte de sa salle de bains. Une lumière vive qui l’attire. Il hésite. Il regarde la photo de Mathilda posé à coté de son corps sans vie. Il a besoin de la revoir une dernière fois. Il fait un mouvement de coté, il traverse la fenêtre et flotte dans l’air. Les lumières d’une sirène apparaissent dans son champ de vision. Il revient dans la chambre. Mathilda. En une pensée il est vers elle, à l’autre bout de la planète, sur un autre continent, il la rejoint. Elle joue tranquillement. Il s’assoie à ses cotés. Elle le regarde. Il lui sourit. Elle babille. Elle est si jolie. Derrière elle il voit de nouveau apparaître la lumière chaude. Il y voit se dessiner sa grand-mère qui lui fait signe de la main. Sa grand-mère regarde aussi l’enfant. Il voudrait pleurer mais n’y arrive pas. Il ne veut pas partir tout de suite. Il veut rester prés d’elle. L’enfant sourit. Derrière lui le souffle de la chose obscure lui glace l’esprit. Il ne veut pas de cette chose en présence de son enfant. Il fait volte-face. Sans s’en rendre compte, le voilà revenu dans la chambre où réside encore sa dépouille. Il sort par la fenêtre.

Il flotte au dessus de la rue. Il voit par la vitre de sa chambre que l’on emballe son corps dans un sac. Un sac noir. Il ne fait plus partie de cette carcasse que l’on emmène vers sa destination finale. À l’entrée de l’immeuble, une foule s’est amassée. Il s’en approche. Il voit des larmes. Il voit des âmes esseulées en quête de sensations fortes. Il sent la tristesse qui se répand. Il sent aussi une fébrilité humaine qui l'écœure. Devant lui jaillit de nouveau la lumière qui l’appelle, il pressent sa bonté, il s’en approche timidement. Il entend hurler la chose immonde derrière lui. Il ne veut plus entendre causer cette horreur. Il prend son élan et plonge dans la lumière qui l’englobe. Une lumière envoyée par des anges bienveillants, une lumière vive qui le transporte vers ces étoiles qui brillent éternellement…

La source de cette histoire fictive expliquée par ici...

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Journaliste. Traductrice, Auteure. Photographe. Geekette. "Roadie" à ses heures. Dino-blogueuse qui surfe l'infernale Toile depuis ses balbutiements du siècle dernier. Se souvient de la préhistoire numérique... Maman passionnée d'une fillette au prénom ensoleillé...