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mercredi 30 juin 2010

Histoire de Chanelle

Comme sa vie était digne d'une belle fiction, c'est en ce coin de Toile que je dépose son histoire. Chanelle a vécu entre les lignes de mon blogue durant des années. Elle n'est plus mais son souvenir restera longtemps en nous...

In Mémoriam

Elle était si belle que dans son jeune temps, tous les regards qui la croisaient s'y attardaient. Blonde en plein soleil et rousse dans le soir couchant, elle avait une toison qui bouclait sa nuque, un port de reine et une élégance innée. C'était une métisse, fruit des fornications entre un Golden et un Colley. Elle s'appelait Chanelle.

Et même si elle n'était pas humaine, elle tenait en mon coeur une bien grande place...

Son histoire rocambolesque était à la hauteur d'une fiction, presque irréelle. Elle avait pris sa vie en pattes. Elle m'avait choisie. Elle avait jeté son dévolu sur ma petite personne et m'avait retourné le coeur. Hier, je l'ai accompagné en ces derniers instants avec tout cet amour qu'elle a su faire naitre en moi. Un amour qui est aujourd'hui bien réel. Comme cette peine nouvelle.

Comme son histoire vaut la peine d'être racontée, je tiens à la partager une dernière fois. Immortaliser en ces mots son destin. Par bribes. En trouver le fil. Pour évacuer ces vagues de tristesse qui me submerge toute entière. Entre deux phrases les larmes dégoulinent sur mes joues que je ne prends pas la peine d'essayer de les essuyer. Ce sont des larmes de chagrin qui sont le reflet d'un bonheur vécu. Un bonheur qui est encore plus lumineux maintenant qu'il n'est plus.

Sweet Chanelle

J'ai rencontré Chanelle pour la première fois il y plus de dix ans. Je donnais à l'époque des cours de soutien aux élèves en difficulté scolaire tandis que j'étudiais à l'université. Ma spécialité était le français. Je recueillais ces petites âmes et j'essayais de leur communiquer ma passion de cette langue qui est la nôtre. En leur terreau d'enfance, je plantais mes graines de savoir. Je me spécialisais avec le primaire.

Lorsque je me suis installée en ce village accoté prés d'un grand lac, Jay fut mon premier élève. Il avait 7 ans. J'allais travailler avec lui trois soirs par semaine en sa maison. C'est là que je l'ai rencontrée. Sweet Chanelle. C'était le chien de maison. Encore jeune. Les premières fois, j'ai remarqué sa beauté mais je n'ai guère fait attention au chien. J'avais d'autres chats à fouetter dans ma vie. Et puis avec les semaines qui passaient, j'ai commencé à succomber à sa beauté docile, à cette étonnante douceur qui émanait de sa grosseur respectable. À son regard, rempli d'une intelligence silencieuse. Tout doucement, j'ai appris à la connaitre. Entre deux pas de portes. Entre deux courses de quotidien.

Je me liais d'amitié avec Sylvia, mère de Jay et maitresse de Chanelle. Et au bout d'une année, une drôle d'idée s'est inscrustée dans ma tête. À chaque fois que je voyais Chanelle, je me disais: "Même si je ne suis pas très chien comme fille, si je devais avoir un chien c'est Chanelle que je voudrais!". À la rentrée suivante, j'étais contente de retrouver Chanelle en même temps que Jay était moyennement content de me retrouver (même s'il m'aimait bien). Dès que j'entrais dans la maison, Chanelle m'accueillait de ses grands yeux doux et me faisait un sourire comme je n'avais jamais su qu'un chien pouvait faire. Déjà elle adoucissait l'épreuve du cours. Jay était un petit Asperger et ma tâche de français était un défi auquel je m'attelais avec coeur et courage.

Sans m'en rendre compte, j'ai commencé à verbaliser cette idée que j'avais eu les mois auparavant. Lorsque je voyais Chanelle qui me faisait la fête, je lui disais: "Ah! Chanelle, que tu es belle, tu sais, t'es le seul chien que j'aimerais avoir dans ma vie". Sans m'en rendre compte, je l'aimais déjà. Comme je n'avais jamais aimé un chien. Au cours de cette année là, j'ai déménagé avec Juan dans un chalet qui se trouvait tout près de la maison de Jay. Notre quartier boisé est formé deux rues qui font une boucle à fin du village. En coupant dans le boisé, je pouvais me rendre chez Sylvia en trois minutes. Cette année là, l'on a aussi décidé de Jay viendrait travailler chez moi. Et sans y faire vraiment attention, cette routine a fait que je ne voyais plus Chanelle trois fois par semaine. Comme j'avais d'autres chats à fouetter, je n'y pensais guère...

Et puis, un jour Chanelle a compris où j'habitais et s'est retrouvée sur mon palier. J'ai ouvert ma porte et la voilà qui me souriait de toutes ses dents.

Contente d'elle, elle me faisait la fête. Les premières fois, aussi estomaquée que flattée, je lui souriais, bavardait un peu avec elle avant de la ramener chez elle.

Piteuse, elle me regardait d'un regard triste tandis que Sylvia fermait la porte derrière elle. Jusqu'à ce qu'elle se mette à fuguer à la première occasion pour venir atterrir devant ma porte. Son petit manège en était presque drôle. Sylvia, à la blague commençait à me dire: "Et bien, je crois qu'elle veut vivre chez toi, est-ce tu veux la prendre?".

Moi, je comprenais à peine ce qui m'arrivait, j'écarquillais les yeux et restait bouche bée. Juan de son coté refusait tout net: "Ah! Non, on a déjà 6 chats on va pas en plus avoir un chien! T'as vu comment c'est petit chez nous et comment Chanelle est grande!". Mais Chanelle s'en foutait et durant six mois, elle joua au petit manège qui s'intitulait: "Aller faire un tour d'Etolane".

Arriva l'été qui génocida ma tribu de chats. Alors qu'il ne restait plus que deux âmes félines en ma maison, comme à ses habitudes Chanelle atterrit sur ma terrasse. Un jour pas comme les autres, je m'en souviens encore, j'étais triste de mes chats et je l'ai laissée entrer. Elle a reniflé tous les coins. Elle m'a souri de cet irrésistible sourire et j'ai capitulé. J'ai partagé ma peine avec elle. Elle s'est couchée à mes pieds, docile, soumise. Si belle. Elle a passé la journée avec moi et une fois le soir venu, j'ai persuadé Juan de la garder en lui disant que je la ramènerais demain.

Ce soir a annoncé son emménagement officiel même si on le savait pas encore. À partir de ce jour là, elle est revenue encore et encore. Elle ne prenait tellement pas de place malgré sa grande taille, c'était hallucinant. Et sa douceur était telle qu'elle irradiait la maison d'une nouvelle chaleur. Je succombais. Lorsque je la ramenais, elle devenait si triste. Elle ne voulait plus vivre chez Sylvia. Tant et si bien que Sylvia finit par me dire: "Écoute, garde-là et je vous amènerai ses croquettes, elle vraiment heureuse chez toi." Plus de force que de gré, c'est comme cela que l'on s'est retrouvé avec une chienne nommée Chanelle!

Chanelle-se-marre

Elle avait six ans. Cela nous a pris deux mois pour réaliser que nous avions un chien. Au début, nos amis venaient à la maison, découvraient Chanelle et nous disaient avec surprise:

- Mais vous avez un chien?!?

Et l'on bafouillait en essayant d'expliquer l'histoire loufoque.

- Heu, ben on sait pas trop, c'est Chanelle, elle est vraiment gentille et elle veut vivre chez nous. En fait c'est le chien d'une voisine mais... blablabla....

Et puis l'on expliquait ou pas et Chanelle rigolait. Chaque personne qui la rencontrait comprenait qu'il était impossible de lui résister. Sans compter qu'elle utilisait toute son intelligence pour me plaire. Ne jamais me déplaire semblait être sa tâche principale. Elle me donnait son coeur et son obéissance sur un plateau d'argent. Un si beau chien. J'étais flattée. Elle m'aimait alors que je ne lui avais rien demandé. Elle était si douce et gentille, une crème de chien...

À cette époque là, l'on vivait notre lune de miel avec Chanelle. Propre, bien élevée, intelligente et charmante. Juan avait beaucoup de fun à jouer avec elle même si elle lui faisait toujours comprendre qu'elle n'était qu'à moi. Au bout de six mois chez nous, il m'a fait remarqué qu'elle l'ignorait. En effet, autant elle m'écoutait au doigt et à l'œil sans même que j'aie l'impression de donner des ordres autant elle l'ignorait royalement et faisait parfois semblant de ne pas l'entendre quand il lui parlait. Son intelligence me fascinait.

Avec respect et étonnement, je découvrais que ce chien était aussi intelligent sinon plus que certains humains! Cela me foutait à terre. Elle refusait d'aller quelque part avec lui si je n'étais pas là. Subtilement mais fermement, sans aucune malice, elle lui disait: "Tu n'es pas mon maitre, c'est elle ma maitresse. Toi j'ai pas confiance.".

Je n'y comprenais rien, depuis quand un chien pouvait ainsi décider que je devienne sa maitresse? Depuis quand les chiens prenaient leur vie en pattes? Mais sa maitresse je devenais. Elle se fondait à ma vie de maison. Elle devenait mon ombre blonde à quatre pattes. Une ombre magnifique qui embellissait ma vie.

Au bout de six mois, alors que l'on faisait des balades de lac avec elle, l'on a réalisé que l'on avait un chien de famille. C'était, en effet, le chien parfait pour une famille. Manquait juste un enfant pour que l'image soit idyllique. Comme dans un livre. L'on plaisantait sur le sujet car l'on avait pas vraiment décidé d'être parent. L'on y pensait seulement. Six mois plus tard, boom, sans trop faire exprès ou attention, me voilà enceinte! Et aussi con que cela puisse paraitre, le fait que Chanelle était là me rassurait. Rendue là, je l'aimais profondément. Elle était devenue mienne.

Ensemble l'on avait une routine de lac. L'on allait à ces places où je n'allais avec personne d'autre. L'on squattait un quai déserté. L'on se posait et l'on méditait. Dans la même bulle contemplative, unie par la nature qui nous entourait, l'on respirait. Ensemble dans la même extase. C'était une sensation extraordinaire que de vivre ces moments d'eau avec elle. J'en ai pris des centaines de photos...

D'ailleurs, elle aimait beaucoup que je la prenne en photo. Elle prenait la pose, attirait mon regard et souriait lorsqu'elle entendait le déclic. Chanelle a partagé ma solitude interne, elle en a traversé le seuil. Et je l'ai laissé entrer car je ne pouvais désirer meilleure compagnie. Son plus grand bonheur était d'être à mes pieds, aimante et silencieuse. Elle n'aboyait jamais. C'est ce qui me plaisait tant chez elle.

Mais elle avait si peu confiance en elle. J'ai essayé de lui redonner cette confiance qu'elle avait perdu. Ces dernières années, elle avait retrouvé un "WOOF". Elle était bien dans ses pattes. Particulièrement depuis que l'on avait emménagé avec elle en cette maison de pierres à quelques centaines de mètres de notre ancien chalet. Ici elle était maitresse de la maison. Elle en avait la garde. Elle régnait avec un bonheur qui me faisait toujours sourire. Vigilante mais jamais méchante. Un véritable amour sur quatre pattes. Elle comprenait le français assez bien pour que je la soupçonne de déchiffrer au moins une centaine de mots sans problème. Elle comprenait des phrases entières. Sa personnalité était aussi belle que son irrésistible blondeur. Son charme emportait tout sur son passage...

Un bonheur de Chanelle

Avec elle, même si je n'avais pas l'humeur à sourire, je souriais. Son regard fouillait mon âme et la comblait. Lorsqu'elle a emménagée avec nous, j'ai réalisé une fois de plus l'artificialité de l'argent (dont la valeur n'est qu'humaine). Chanelle a quitté une grande maison confortable où elle était bien entretenue pour venir vivre à la bohème avec moi. En notre petit chalet. Pour dormir à la dure au pied de mon lit, accompagner mes pas de lac, et m'aimer?

Juan s'est habitué à cette nouvelle dynamique. Cela aura pris deux ans pour qu'elle accepte de l'écouter même quand l'envie n'était pas là. Chez nous, elle vivait sans laisse. Elle faisait ses besoins dans la forêt (ou chez les voisins). Jamais chez nous. Cela me faisait rire. Elle voulait tant nous plaire. Si nous n'allions pas nous promener, elle faisait ses petites balades de quartier quotidienne pour se dégourdir les pattes. Tout le monde la connaissait, ceux qui aimait les chiens lui donnait quelques caresses et elle ne représentait absolument aucun danger pour les autres. Elle était libre. Je lui faisais confiance. Si j'étais là, elle était là et le reste du temps, elle n'allait jamais bien loin. Elle était ici chez elle.

Elle connaissait le quartier comme sa poche. Elle avait même une petite gloire de village. Lorsque l'on se promenait l'on croisait souvent des gens qui ne se souvenait pas de notre nom mais reconnaissait Chanelle. Sans compter qu'elle avait fait trois fois la première page du journal municipal avec mes photos de lac. Elle possédait l'étincelle de la star. Avec elle, la vie n'était que belle. Son regard me donnait tant d'amour que parfois c'était trop, je ne savais pas quoi en faire. je détournais le regard. Pour notre mariage, elle avait fait sourire toute l'assemblée en assistant à la cérémonie en ombre blonde. Sage comme une image dans les portes ouvertes, à l'entrée de l'église de bois, assise bien droite dans la lumière du soleil. Ma si belle et douce Chanelle...

Winter Days

Et les années ont passé, l'enfant est venue et la maladie aussi. Chanelle a veillé à tous mes malaises. Sans jamais s'en plaindre. Avec toujours le même plaisir dans ses yeux lorsque nos regards se croisaient. J'ai guéri et je la voulais immortelle. Éternelle. Elle était si exceptionnelle. Je la voyais vieillir avec un certain déni. Je ne voulais plus imaginer ma solitude interne sans elle. Je l'aimais maintenant autant qu'elle m'aimait. Elle était mienne et j'étais devenue sienne. Sa douce présence en ma maison faisait partie de la texture familiale. Chanelle s'était intégrée à mon coeur. Elle s'était taillée une place de choix en mes émotions.

C'était un merveilleux chien de famille. Lorsque M'zelle Soleil a accaparé toute notre attention, elle l'a accepté sans nous en tenir gré. Elle a adopté le bébé en sa propre famille de coeur. En même temps que M'zelle Soleil est devenue petite fille, elle est devenue grand-mère. Je la voyais bien devenir vieille mais je ne voulais pas croire qu'un jour elle ne serait plus. La communication silencieuse que j'entretenais avec elle était d'une telle harmonie. Je la voyais bien vieillir mais je la voyais aussi gambader et sourire. Elle faisait partie intégrante de notre famille. Mais la vie d'un chien est bien courte à l'échelle humaine....

Pourtant ce mois dernier a été difficile pour mon vieux chien. L'arthrite est venu demander son dû de vie. La semaine dernière m'a particulièrement inquiétée. L'on est allé faire l'un de nos tours de lac et cela m'a fait du bien de la voir sourire à fleur d'eau. Un rien faisait son bonheur et le lac la remplissait de joie.

Pure Happiness

Et puis vendredi, avec M'zelle Soleil à la maison, je me suis dit que cela lui remonterait le moral d'aller se tremper les pattes dans l'eau. Mais je n'ai pas pensé à la côte...

Je l'ai un peu forcé à me suivre. Ses vieilles articulations ne suivaient plus le pétillement de son regard. Mais elle aimait tant ça. Elle m'a suivie doucement, avec confiance et sourires. La voir sourire m'a fait sourire. Elle a même repris un peu de vigueur sur le chemin et elle a descendu la côte comme une jeunette. Ce que je ne savais pas encore, c'est que c'était sa dernière balade de lac. Elle a lapé l'eau avec gourmandise, les pattes immergées jusqu'à la taille. Puis elle est sortie, contentée. Elle s'est affalée sur le sable. M'zelle Soleil a joué à sauter d'en haut rocher. Même si je sentais la fin, j'ai pris des photos comme à  mes habitudes, avec Chanelle en notre décor familial. En ne voulant pas penser que cela puisse être les dernières. Mais lorsque le soleil s'est couché et que l'on est remontées. Chanelle n'a pas voulu me suivre. De peine et de misère, elle a fait quelques pas et elle s'est effondrée.

L'acte final d'une vie canine exceptionnelle

Embarque alors le mode sauvetage. Discuter avec un voisin qui m'explique qu'il est arrivé la même chose à son vieux chien et que c'était la fin. Refuser l'inévitable en son coeur. La sauver. Lui parler. Lui dire que je reviens. Déposer M'zelle Soleil chez Sylvia. Embarquer Phil, frère de Jay, devenu grand ado et ses trois copains en ma mission.

Chanelle a vécu 6 ans chez Sylvia, Phil avait à peine cinq ans quand elle est arrivée, à six mois, en son quotidien. Il l'aime encore même s'il a d'autres chats à fouetter. Il me suit. L'on descend la côte. Chanelle le reconnait, son regard pétille. Il prend la mission à main. Il ne le sait pas encore mais quatre jours plus tard, il aidera Juan à creuser sa tombe. Mais là, on est encore en mode espoir.

À trois grands gaillards, ils la remontent à bout de bras. En haut de la côte Sylvia vient la chercher en voiture. On la ramène chez nous. De peine et de misère, elle gravit les trois marches pour s'affaler sous le sapin. Je ne veux pas y croire. Tout le monde le sait mais je ne veux pas y croire. Cela ne peut être la fin. Pas aujourd'hui, pas maintenant! Je l'aime tellement ce chien, il fait partie de ma vie, il s'est fondu à mon coeur, il s'est imbriqué dans les fibres de mon être. Le voir disparaitre, c'est aussi perdre une partie de mon intimité. Je refuse d'y croire. Je vois bien les regards désolés mais je suis sa maitresse et elle ne mourra pas ce soir!

Mais à partir de ce vendredi soir embarque l'acte final de mon histoire avec Chanelle, je le sais même si je ne veux pas le savoir. Je le sais si bien que je commence à la cajoler et à lui parler comme je ne l'ai pas fait depuis trop longtemps. Je lui ouvre mon coeur et déverse mon amour pour elle comme un baume pour sa douleur. Elle l'aspire et me regarde avec une affection sans borne.

Son coeur est lié au mien. Même si elle ne marche plus, elle me sourit encore, elle répand toute son affection pour moi. Je l'écoute. Je l'absorbe. Je lui suis si reconnaissante de m'aimer autant. De m'avoir choisie. Je sais l'entendre maintenant et même si son langage est silencieux, elle me parle en mon coeur, par cette télépathie sentimentale qui nous relie.

Au début, elle ne comprend pas trop ce qu'il lui arrive. Elle a beau être intelligente, elle ne pense pas en humain, le temps lui passe différemment sur les poils. Toutes ses émotions sont pures et simples. Tandis que je me résigne à boucler cet acte final, Juan la transporte du sapin, au salon, du salon, à la chambre, de la chambre au sapin, etc. Son train arrière paralyse. Pourtant elle a encore toute sa tête.

Je lui dédie toute mon attention. Je veux que ces derniers jours soient aussi doux que toute cette douceur qu'elle a apporté en ma vie. Cette souffrance qu'elle vit avec une si grande dignité me renverse le coeur. Mes larmes inondent mes joues alors que je lui dis au revoir, alors que je la remercie de m'avoir choisie. Alors que je lui parle et lui dit toutes ces choses qu'elle mérite d'entendre. Je réalise avec son départ qu'elle aura surement été un meilleur chien que j'aie été une bonne maitresse. Elle ne m'a jamais causé aucun tracas et ne m'a apporté que du bonheur. Je passe ses derniers jours à l'entourer de soins et de caresses. Elle roucoule presque sous mes doigts et ma voix tandis que son souffle s'accélère. Elle va de plus en plus mal. C'est une épreuve émotionnelle que de la voir ainsi décliner.

Son corps demande grâce. La mort est là. Je le sais mais je ne veux pas. Dimanche matin, aller-retour chez vet, amaigrissement de portefeuille et soulagement temporaire de ses douleurs. Je sais que c'est la fin mais lorsque je regarde dans ses yeux, je vois qu'elle n'est pas encore prête à partir alors je la ramène sous morphine. Je sais que ses heures sont comptées mais je veux juste lui donner le meilleur en ses dernièrs moments pour la remercier de m'avoir appris tant de choses que je savais pas avant de la rencontrer. Parfois durant une ou deux secondes, je reprends espoir. Mais il s'éteint lorsque je la regarde avec lucidité.

Je passe la journée de lundi à ses cotés. Elle n'a pas fait ses besoins depuis le vendredi précédent. Son état empire alors que je lui parle, que je la caresse, que mes larmes coulent dans ses poils. Elle commence à comprendre. Elle est à bout de souffle. Elle souffre avec une gentillesse qui dépasse l'entendement. Elle ne dort plus comme si elle ne voulait plus fermer les yeux et elle me suit du regard dès que je m'éloigne. Comme si elle aussi voulait passer tout ce temps qui lui reste avec moi, avec nous.

Ma tristesse est à la hauteur du bonheur qu'elle m'a donné, elle me submerge toute entière. Le dernier rendez-vous est pris. Mardi deux heures. Son dernier voyage se fait dans un calme surréaliste, je la câline durant des heures. Elle est si détendue qu'elle en est molle malgré la raideur de sa carcasse. Dans la voiture, je m'assois à l'arrière avec elle. Elle se colle à ma cuisse. Toujours le même bonheur d'être avec moi. J'apprécie sa douce présence qui m'enrichit de l'intérieur. Elle est fraiche et je lui partage ma chaleur. Je la serre contre moi. En un silence mortel l'on se rend à la clinique.

Le tracteur sur la route qui nous ralentit, le trafic qui jamme, j'absorbe en caresses tous ces moments qui repoussent l'inévitable fin. La civière. Chanelle calme, confiante, fatiguée, aimante. Elle ne sent plus ses pattes arrière. Elle ne sent pas la piqûre qui l'achève. Juan et moi entourons sa tête. Je lui dis combien je l'aime même si je sais qu'elle le sait autant que je sais qu'elle m'aime. Je lui dis qu'elle peut dormir maintenant, qu'elle rêvera, qu'elle sera bien, qu'elle pourra de nouveau courir après les bâtons. Je sais combien elle aime ses bâtons. Sa tête dans ma main ramollit, elle ferme ses yeux. Pour toujours.

En mon coeur, un éclat de canon explose et me transperce de plein fouet. Je jette un dernier regard à son corps, elle semble dormir, sereine, comme je ne l'ai pas vu depuis quatre jours. Je sors avaler mon chagrin sur le parking, entre deux sanglots. je fais fuir un homme et son cabot. Je la sens encore dans mon coeur. Je la pleure. Elle mérite chacune de mes larmes. C'est plus qu'un chien, c'est Chanelle. Elle m'habite maintenant. Je me dis que c'est certainement une belle réussite canine. Mes larmes sont le fruit de sa bonté, de son intelligence, de sa gentillesse. Je réalise à quel point elle a apporté à mon quotidien. Sa présence douce était une sécurité mentale qui a adouci mes jours. Son bonheur toujours contagieux me faisait du bien à l'âme sans même que je ne m'en rende compte. C'est fou comment l'on comprend tout ce que l'on a perdu une fois qu'on ne l'a plus. L'humain est mal fait.

Bribes et souvenirs


J'aime les chats. Pour être avec moi, elle les acceptait dans sa bulle canine. Certains se sont même attachés à elle avant d'être pris par les dangers de la forêt. Henri, le chat de maison depuis trois ans, le seul à être assez malin pour survivre à sa liberté, l'aimait bien. Il la cherche un peu depuis hier soir.

Au fil des années, sa présence a tissé la texture de notre quotidien. Pour moi qui travaille à la maison après avoir materné ma fille à la maison, ces dernières années ont été accompagnées de Chanelle. C'est certainement l'être vivant avec qui j'ai passé le plus de temps. En toute simplicité. J'aurais voulu être une meilleure maitresse. Même si je l'aimais et la respectais, j'étais solitaire. Elle se fondait en ma solitude. Juan me dit qu'elle aimait ça. Elle aimait être mon ombre et je m'imprégnais d'elle. Je sais aussi qu'elle aurait aimé que je la cajole plus. Comme je l'ai cajolé ces jours derniers, sans répit.

Mais je pense quand même qu'elle était heureuse. Nos deux personnalités se mélangeaient sans effort. Elle respectait toutes mes limites tout comme je la respectais en sa personnalité. Je la protégeais du monde cruel des humains. Elle avait la vie douce à nos côtés. Ceux qui la connaissent bien sont tous impressionnés par la vie qu'elle s'est faite. Même si ce n'était qu'un chien, c'est par son intelligence et ses qualités qu'elle s'est faite la vie belle. Elle fera toujours un peu partie de moi maintenant.

Jour de printemps

Pourtant son destin était tragique à la naissance. Récupérée par la SPCA, elle avait vécu ses six premiers mois dans la violence humaine. Elle en était restée marquée mais ni aigrie, ni rancunière. Elle ne faisait juste plus jamais confiance aux mâles humains.

Sylvia l'avait adopté le jour qui précédait son ordre d'euthanasie. Elle avait six mois. Durant douze ans, elle a vécu entre lac et forêt. Admirée des uns, aimée des autres. Même si j'étais sa maitresse, elle était très sociale. Elle se faisait des amies facilement. En face, Yolande était l'une de ses bonnes amies. Yolande, 80 ans et d'une forme étonnante. Petite bonne femme au destin égaré, madame chats, amie de tous les animaux. Yolande qui a aussi craqué pour Chanelle. Depuis deux ans, tous les matins, Chanelle allait chercher sa toast en face. Cela faisait partie de ses rituels du matin. Petite promenade de bois, pipi et toast chez Yolande avant de venir retrouver ma peau concentrée. Vendredi dernier, c'était le premier matin où elle n'a pas pu monter les escaliers pour aller chez Yolande...

Yolande est venue m'aider à la laisser partir. Elle est venue lui dire au-revoir. Elle l'aimait aussi. Du haut de sa vieillesse, elle lui a parlé comme je ne pouvais le faire. Yolande qui la gardait toujours avec tendresse si l'on partait quelques jours. Et derrière chez Yolande, il y a la maison de Sylvia. Elle repose en paix maintenant entre boisé et maison de Yolande. À quelques pas de son sapin préféré devant ma maison. Juan et Phil on creusé sa tombe. En son dernier repos, les oiseaux chantent et les souffles de la forêt embaument l'atmosphère. Une fois mise en terre, nous avons tous évoqué nos meilleurs souvenirs avec elle. Et c'est la fin d'une belle histoire canine.

Dehors, c'est le déluge, en cette première matinée sans elle, le ciel pleure. Il s'harmonise avec mon chagrin du jour. J'apprécie son obscurité et sa fraicheur. Je vis une solitude nouvelle. En ce premier matin sans elle, une implacable tristesse m'imprègne l'humeur. Sa présence imprègne encore l'atmosphère de la maison. Je suis bien seule ce matin. Henri le chat monte la garde de mes larmes. Il a surement compris qu'elle était partie.

Et en ce premier matin sans elle. Il y a un vide en ma maison. Un silence nouveau. Les larmes coulent. Le manque se fait ressentir. La concentration de me fuit. Travailler est difficile. En ces mots s'inscrit mon deuil. Les mots coulent pour contrôler ses larmes qui me piquent les yeux. les souvenirs m'assaillent par centaines. L'affection que je ressens pour elle vit en moi. J'espère avoir été digne d'elle. Je suis heureuse de l'avoir connue et aimée.

Tous ceux qui ont connu une relation inter-race comprendront certainement cette peine qui me traverse. Je ne veux jamais oublier ce chien merveilleux qui s'est épris de moi et qui restera gravé en de précieux souvenirs. Paix à ton âme Sweet Chanelle...

10 commentaires:

Unknown a dit…

Oh c'est trop triste. Bon courage ! Et si je peux me permettre, mes sympathies pour ce magnifique chien !

Dr. CaSo a dit…

Je pleure avec toi. Quelle belle histoire.

Blandine a dit…

Je pleure devant mon écran, je pleure Chanelle, votre relation, et je pleure Naïade ma chienne dont j'ai senti la fin venir, et que j'ai caliné comme j'ai pu avant de m'en retourner à Paris, la laissant chez ma maman, sa maitresse.
Je pleure ces amis qui nous manquent et dont le souvenir nous accompagne.
Mes larmes coulent pour apaiser un peu les tiennes.

minutepapillon a dit…

Un passage difficile et une si belle histoire. je suis fort émue à la lire et pèse le poids de ce que je perds en n'ayant pas réussi à former ce lien fort avec mon propre chien.

Pappolène a dit…

Je suis si triste d'apprendre la fin de Chanelle.
Je compatis à ta peine!

Bises

Marie-Julie a dit…

Tellement touchant...

Anonyme a dit…

quel beau témoignage pour une si belle chienne. Mes yeus se sont remplis de larmes en lisant votre récit.
j'adore les animaux et je suis passée moi aussi par cette peine....

josse a dit…

J'avais découvert votre blog en découvrant les jolies photos de Chanelle sur flick'r et je suis bouleversée d'apprendre son décès.
Votre superbe hommage est si bouleversant que je verse des larmes en ce moment, eh oui je ne peux m'empêcher de l'identifier à ma chienne golden "Roxane" qui a 10 ans et un regard d'amour que je ne m'imagine pas perdre un jour.

La Mère Michèle a dit…

J'ai mal à la gorge, à force de retenir mes sanglots. Je dis que c'est de l'amour. Je dis que vous étiez destinées.

Belle histoire, vraiment.

Nanou La Terre a dit…

J'ai bu et senti un à un tes moments d'amour pour Chanelle, je ne saurais mieux décrire que toi l'amour d'un chien pour son maître et tout le bonheur qu'il peut procurer à son entourage. Quelle belle histoire d'amour et je la comprends tellement... Me permets-tu de la faire découvrir sur mon site?
Merci, merci mille fois... Je me rappellerai de Chanelle... xxx

Qui êtes-vous ?

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Journaliste. Traductrice, Auteure. Photographe. Geekette. "Roadie" à ses heures. Dino-blogueuse qui surfe l'infernale Toile depuis ses balbutiements du siècle dernier. Se souvient de la préhistoire numérique... Maman passionnée d'une fillette au prénom ensoleillé...